12 Fév Accusations contre Hulot : que penser de son interview de crise ?
« J’ai peur de la rumeur, […] pas de la vérité ». Ce jeudi 8 février 2018, Nicolas Hulot a choisi de s’exprimer à la télévision pour désamorcer en amont des accusations d’agressions sexuelles le concernant à paraître le lendemain dans la presse. Que penser de la communication de crise et de la crédibilité du ministre lors de cette interview sous haute tension ?
En tant que spécialiste menant des recherches sur l’évaluation de crédibilité, il est particulièrement délicat de s’exprimer sur des crises en cours comme celle visant le ministre de la transition écologique et solidaire, et ancien animateur TV, Nicolas Hulot. D’un point de vue éthique tout d’abord, puisqu’il ne s’agit en aucun cas de se substituer à la justice ou de remettre en cause la présomption d’innocence au profit d’un tribunal médiatique, quand bien même cela concernerait un personnage public comme Nicolas Hulot. Pour des raisons « techniques » ensuite, puisque les recherches scientifiques sur l’évaluation de crédibilité reportent en moyenne des taux de bonne évaluation de l’ordre de 75%, loin donc de représenter des méthodes infaillibles.
Par-delà une potentielle « affaire Hulot », cet article s’attache donc à repenser la manière dont communicants d’une part et journalistes de l’autre peuvent faire évoluer leurs pratiques dans de tels contextes de communication de crise.
Le contexte : deux accusations d’agressions sexuelles selon le journal l’Ebdo
A quelles accusations au juste Nicolas Hulot a-t-il donc voulu répondre au micro de Jean-Jacques Bourdin, journaliste sans doute le plus reconnu actuellement pour son franc-parler et ses questions sans détour ? Rapide rappel du contexte de l’interview du ministre :
- L’Ebdo, un nouveau journal papier, avait prévu de consacrer son 5e numéro à paraître le vendredi 9 février à ce qu’il titre « L’affaire Nicolas Hulot »
- La veille de cette parution dont le ministre a eu vent, il décide de s’exprimer sur BFMTV pour répondre en amont à deux accusations d’agressions sexuelles portées par l’Ebdo à son encontre
- La première affaire concernerait des accusations de harcèlement envers une ancienne collaboratrice de la fondation Hulot. Ces accusations ont à la fois été niées par le ministre et l’ancienne collaboratrice en question
- La seconde porte sur une accusation de viol par Pascale Mitterrand (petite-fille de François Mitterrand) ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2008 concernant des faits remontant à 1997, alors qu’elle était âgée de 20 ans
- Suite à l’interview du 8 février de Nicolas Hulot, l’avocat de Pascale Mitterrand a fait savoir que sa cliente avait délibérément attendu le délai de prescription de 10 ans pour déposer plainte, car elle ne voulait pas médiatiser l’affaire mais faire notifier à Nicolas Hulot que son accusation avait fait l’objet d’une trace et d’un dépôt formel
L’interview de Nicolas Hulot a-t-elle traité du cœur des accusations ?
Lorsque nous formons des professionnels à l’évaluation de crédibilité, la première étape de notre méthode SuSQAV en 5 étapes consiste à définir précisément la suspicion qui plane sur la personne reçue en entretien, afin de pouvoir lui poser des questions portant précisément sur ces suspicions (et les lever).
Dans le contexte des accusations portées contre Nicolas Hulot, sur quoi donc portent précisément les suspicions à l’encontre du ministre ?
Nous nous intéresserons ici uniquement aux accusations de Pascale Mitterrand, puisqu’elles seules ont donné lieu à un dépôt de plainte, comme le confirmera par communiqué de presse le procureur de la République de Saint-Malo le jour de l’interview donnée sur BFMTV par Nicolas Hulot.
Comme l’indique ce communiqué, la suspicion précise semble donc ici porter non pas sur le fait qu’il y ait eu une relation sexuelle entre les deux protagonistes, mais sur le consentement de Pascale Mitterrand à cette relation.
Du point de vue des journalistes, c’est donc sur cette suspicion précisément identifiée que les questions doivent in fine porter. Du point de vue des communicants de crise ayant préparé Nicolas Hulot, c’est également sur cette suspicion précise que doit porter idéalement la défense du ministre pour le laver au mieux de tout soupçon.
Or qu’est-il dit dans l’interview d’une vingtaine de minutes réalisée chez Jean-Jacques Bourdin ?
- Bourdin : Est-il vrai qu’une jeune fille de 17 ans petite-fille d’un homme politique célèbre a déposé plainte contre vous ?
- Hulot : Alors sur l’âge de la victime la réponse est non
- Bourdin : Pas 17 ans ?
- Hulot : Non
- Bourdin : Majeure ?
- Hulot : Absolument. Et la réponse est oui sur le fait que sur, une, des allégations des faits qui remontent à 1997, cette personne en 2008…voyez on parle de faits qui ont 21 ans et sur une plainte qui a été déposée en 2008, cette plainte a été classée sans suite, parce que non seulement l’affaire était prescrite mais ça ne suffit pas
- Bourdin : Oui il y avait prescription
- Hulot : Et j’allais dire peu importe qu’il y ait prescription, mais parce que l’enquête j’ai été auditionné par les gendarmes à ma demande, j’y suis allé tout seul
- Bourdin : Vous avez été confronté à cette jeune femme ?
- Hulot : Non j’ai pas été confronté j’ai été auditionné et les enquêteurs à l’époque très rapidement ont considéré que il y avait absolument rien qui permettait de poursuivre cette…
- Bourdin : Donc l’affaire a été classée sans suite
- Hulot : Elle a été classée sans suite et c’est pour ça que je suis aussi fumasse parce que voilà on parle de deux choses : une qui a pas de fondement, une qui est vraie c’est qui y a eu cette plainte, mais que il y a eu la justice est passée et pour moi quand la justice est passée il y en a un moment ou un autre il faut aussi en tenir compte, voilà […].
Dans cette séquence, comme dans le reste de l’interview, on constate donc que Nicolas Hulot n’a à aucun moment eu l’occasion de s’exprimer et de répondre sur le fond des accusations et des suspicions qui planent sur lui, à savoir 1) y a-t-il seulement eu une relation entre lui et la plaignante en 1997 et 2) le cas échéant, cette relation était-elle selon lui mutuellement consentie – son argumentaire portant donc exclusivement sur l’issue de la plainte (un classement sans suite pour prescription) mais n’abordant pas spécifiquement le caractère consentant ou non d’une éventuelle relation.
Nicolas Hulot ne pouvait répondre sincèrement…qu’aux questions qui lui ont été posées
« J’ai 62 ans, il y a eu des relations de séduction, peut-être que ce qui nous a semblé anodin à une époque ben ne l’est plus aujourd’hui, que le ressenti des femmes s’exprime et que c’est très bien. Mais cernons bien les choses, ne confondons pas tout, attention aux amalgames ».
Par deux fois, Nicolas Hulot évoque spontanément des comportements qu’il aurait pu avoir par le passé, à une époque où ils étaient peut-être perçus comme anodins et qui pourraient ne plus l’être aujourd’hui. Qu’évoque exactement le ministre dans ces passages ? Faut-il y voir un lien avec la plainte dont il a fait l’objet, suggérant ainsi un filigrane qu’il était peut-être plus « lourd qu’agresseur », pour paraphraser les mots de Yann Barthes interrogeant l’auteure de l’enquête de l’Ebdo ?
La question ne lui ayant pas été posée, Nicolas Hulot n’a pas eu l’occasion de s’étendre sur ce point pourtant crucial de l’accusation. A sa décharge donc, on peut dire que le ministre ne pouvait répondre sincèrement…qu’aux questions qui lui ont été posées.
Sans juger le fond de l’affaire donc, nous lançons une véritable invitation aux communicants et aux journalistes traitant de crises. Aux journalistes tout d’abord, en orientant dans de tels cas leurs questions sur le cœur même des suspicions. Aux communicants de crise ensuite, en les invitant à proposer à leurs clients de traiter spécifiquement ces mêmes suspicions, par-delà même parfois les questions posées par leurs interlocuteurs.
Et donner ainsi aux innocents les meilleures chances de laver leur honneur.